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lilly et ses livres
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26 février 2022

Le Festin - Margaret Kennedy

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L'hôtel de Pendizack, est englouti par la falaise qui le surplombait. Ce drame n'est pas si soudain qu'on pourrait le croire, puisque Mr Siddal, le mari de la propriétaire, avait reçu un courrier le prévenant du péril qui le menaçait.
Nous remontons alors quelques jours avant la catastrophe, pour rencontrer les occupants de la pension de famille, de la femme de chambre à la lady maladive, en passant par le chanoine malaisant, l'écrivaine médiocre et libidineuse (dont le dernier livre démontre qu'Emily Brontë a volé l'oeuvre de son frère...) et les enfants démoniaques.

Si vous cherchez à vous évader en ces temps angoissants, je vous conseille la Cornouailles et cette histoire si parfaitement anglaise ! Le Festin est un livre au ton faussement léger, dont on dévore les presque cinq cents pages. C'est presque une enquête policière, puisque de nombreuses intrigues émaillent le récit et qu'il faut attendre la dernière page pour découvrir la liste définitive des victimes.

On découvre des drames intimes, des parents qui ne veulent pas d'enfants ou qui les maltraitent, mais aussi des parents en mal d'enfants. Il y a des couples désunis, condamnés à se supporter pour des raisons que l'on ne comprend pas toujours.
Nous sommes au sortir de la guerre, le rationnement n'est pas terminé et les bouleversements politiques créent des tensions jusque dans la pension des Siddal où l'intendante auto-proclamée ne compte pas se laisser dominer par ces oisifs écoeurés de devoir payer tant d'impôts. Même la chasse à la guimauve est toute une histoire.

Heureusement, il y a un peu d'amour, de la camaraderie et quelques individus qui empêchent (littéralement) la situation d'exploser. Jusqu'à ce que...

" - Je n'oublierai jamais ce que dimanche vous avez dit de l'innocence.
  - De l'innocence ?
  - A propos des innocents qui sauvent le monde. "

Une tragi-comédie réussie dans un écrin superbe (cette couverture !) qui me permet de découvrir une autrice que je compte bien relire à l'occasion.

Merci aux Editions de la Table Ronde pour ce livre.

La Table Ronde. 471 pages.
Traduit par Denise Van Moppès.
1950 pour l'édition originale.

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24 février 2022

La Passion selon G.H. - Clarice Lispector

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" Pour le moment j’invente ta présence, tout comme un jour je ne saurai pas non plus me risquer à mourir toute seule, mourir est le plus grand risque, je ne saurai pas passer le seuil de la mort ni faire mon premier pas dans cette première absence de moi – en cette heure ultime et si première j’inventerai aussi ta présence inconnue et avec toi je commencerai à mourir jusqu’à être capable d’apprendre toute seule à ne pas exister, et alors je te libérerai. Pour le moment, je m’accroche à toi, et ta chaude vie inconnue fait mon unique organisation personnelle, moi qui sans ta main me sentirais lâchée dans l’énorme grandeur que j’ai découverte. Dans la grandeur de la vérité ? "

Une femme artiste découvre dans la chambre immaculée de son ancienne domestique, partie depuis six mois, une blatte. Ecoeurée, saisie d'une envie violente de l'écraser, G.H. (c'est son nom) va voir son existence complètement bouleversée par la vue de cet insecte symbolisant tant de choses négatives.

Sur cette thématique, il existe le fabuleux La Métamorphose. Mais alors que le héros de Kafka subit la violence des individus qu'il croise et est lui-même dégoûté de sa condition, la femme dont nous suivons les pensées dans ce roman de Clarice Lispector fait peu à peu corps avec la blatte et va s'en servir comme point de départ d'une réflexion sur ce qu'est la condition humaine.

Rejetant ce qu'elle prenait pour acquis, sur le beau, le laid, le bien, le mal, G.H. réalise peu à peu que tout est construction. Que d'une certaine manière, la blatte, dans son absence de pensée, est plus réelle qu'elle. Dès lors, comment se libérer ? Le veut-elle seulement ?

" Reproduire une vie me procurait sans doute – ou me procure encore ? à quel point l’harmonie de mon passé est-elle brisée ? – reproduire une vie me procurait sans doute une sécurité précisément parce que cette vie n’était pas la mienne : je n’en avais pas la responsabilité. "

L'une des forces de ce livre est son caractère universel. Les questions qu'il pose se retrouvent dans beaucoup de grands textes philosophiques relatifs à la perception du réel ou la question du je. Les expériences du lecteur vont conditionner sa lecture et lui permettre de s'approprier le texte à partir d'elles. Il va apprendre à relativiser puisque le Temps s'invite dans le récit.

" Ce qui m’effrayait encore c’était que même l’horreur impunissable serait généreusement ré-absorbée par l’abîme du temps interminable, par l’abîme des profondeurs insondables, par le profond abîme du Dieu : absorbée dans le sein d’une indifférence."

Cet aspect rend cependant la lecture particulièrement exigeante. Nous n'avons presque aucun point de repère, tout juste un lieu (un appartement cossu au dernier étage d'un immeuble de Rio), une femme (désignées par des initiales et une profession, artiste). La forme nécessite aussi une attention particulière puisqu'il s'agit du flot des pensées d'un personnage en état de choc essayant d'organiser et d'exprimer ce qu'elle décrit elle-même comme inatteignable par les mots.

" J’ai entrevu mais je suis tout aussi aveugle qu’auparavant parce que j’ai entrevu un triangle incompréhensible. "

Un programme qui peut sembler absurde tant Clarice Lispector allie ce qui normalement s'exclue mutuellement (on est responsable et on ne l'est pas, on est aujourd'hui et on est l'infini), qui effraie et rassure à la fois. Qui bouscule, assurément. Le tout servi par une plume superbe et des images à couper le souffle.

J'attendais avec impatience le Mois Latino-Américain pour découvrir Clarice Lispector. Ce fut une expérience de lecture peu commune, même si lire une telle autrice dans une période peu propice à la concentration a nuit à mon plaisir (j'ai lu la première moitié du livre en trois semaines, la seconde en une journée...).

Des Femmes - Antoinette Fouque. 225 pages.
Traduit par Paulina Roitman et Didier Lamaison.
1964 pour l'édition originale.

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21 février 2022

La Débâcle - Emile Zola

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Avant-dernier opus des Rougon-Macquart, La Débâcle s’étend de la guerre franco-prussienne de 1870 jusqu'à la Commune. Alors qu'à Paris, la propagande tente de maintenir l’illusion d’une victoire imminente, sur le front les rumeurs n'en finissent pas de se contredire. Laissés pour compte, affamés, les soldats français s'organisent comme ils peuvent. Parmi eux, Jean Macquart et Maurice Levasseur, se lient d'une profonde amitié.

Grande fresque historique dénonçant la guerre avec fermeté, ce roman mêle à la fois les tragédies collectives et les drames individuels. Fait notable chez Zola, il n'y a pas de personnage haïssable dans les rangs français (l'auteur avait choisi son camp). Si l'on occupe longuement le champ de bataille, le romancier nous montre aussi les conséquences de la guerre sur tout un territoire. Villes et champs sont dévastés et jonchés de cadavres puants, les animaux sont massacrés en même temps que les hommes, les populations brutalisées et financièrement saignées par les vainqueurs.

Avec son style toujours très visuel, Zola nous fait assister à des scènes inoubliables de chevaux débandés, de blessés amputés à la chaîne. Plus tard, les massacres de la Commune sont difficilement soutenables, et l'auteur nous offre un final le long de la Seine à la fois sublime et terrible dans Paris incendié.

Comme toujours avec cet auteur, on ressort bouleversé et impressionné. Ce livre intègre la liste de mes Zola préférés, ce qui n'est pas peu dire.

Folio. 663 pages.
1892 pour l'édition originale.

16 février 2022

Où va l'argent des pauvres ? - Denis Colombi

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" À défaut de pouvoir faire sentir intimement ce qu’est la pauvreté, les travaux sociologiques qui se sont depuis accumulés peuvent au minimum nous permettre de saisir l’étendue des capacités et de l’inventivité que doivent mettre en œuvre les plus pauvres pour s’en sortir avec presque rien."

Rappelant la démarche sociologique, qui se confronte aux données et s'oppose en cela aux discours démagogiques de nombre d'orateurs, Denis Colombi nous montre à quel point notre avis sur la façon dont les pauvres gèrent leur argent est empreinte de mépris, de préjugés et d'ignorance.

Derrière l'argent se cache un rapport de force entre les classes. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les profiteurs de ce système ne sont pas que les grandes fortunes mais aussi les classes moyennes. De plus, les reproches faits aux pauvres sont parfois le résultat d'exigences venant des couches supérieures (qui imagine un maçon frêle ou une esthéticienne poilue ?).
La pauvreté n'est pas qu'un manque d'argent, c'est un statut social qui n'existe pas dans toutes les sociétés. C'est aussi une condition qui fait peur car infamante. Et gare à ceux qui essaient de faire des achats considérés comme hors de leur portée. Même ceux qui font fortune sont l'objet de méfiance.

" Les footballeurs, en un sens, ne sont pas riches : ils sont plutôt des pauvres qui ont de l’argent. L’expression peut sembler paradoxale, mais elle permet de souligner qu’ils restent identifiés comme des représentants des classes populaires bien qu’ils disposent, évidemment, de ressources économiques qui les en éloignent. "

Lorsqu'on regarde le coeur du problème, l'argent lui-même, il apparaît que les pauvres ne gèrent pas forcément moins bien leur argent, mais qu'ils le font différemment. Leurs choix s'expliquent aussi la plupart du temps selon une logique très compréhensible si tant est que l'on accepte d'admettre qu'on ne gère pas un budget où il faut compter à l'euro prêt et un revenu plus confortable de la même manière.

" Penser que ses propres façons de faire en matière d’économie devraient être universalisées parce qu’elles seraient partout et toujours efficaces relève de la pensée magique et non de l’argument rationnel. "

Comme le note l'auteur, on ne peut imputer une situation qui touche des millions de personnes à des erreurs personnelles. L'enjeu est collectif.
Ce livre fait quelques propositions, et en particulier celle de donner de l'argent, mais il est aussi intéressant dans la mesure où il confronte les gens, y compris les bien intentionnés (probablement les seuls qui liront ce livre...) à leurs erreurs et à leurs contradictions. Le minimalisme est un luxe que ne peuvent se permettre que ceux qui ont les moyens de payer les articles à l'unité ou ceux qui ont un carnet d'adresses suffisamment bien rempli pour se passer d'internet.

Une lecture que je vous propose de prolonger avec Le Peuple de l'abîme de Jack London (époque différente, mais initiative tout aussi percutante). Un dernier extrait pour la route :

" tout le monde, ou peu s’en faut, s’accorde sur l’idée qu’il faut aider les pauvres… du moment qu’il s’agit d’un vœu pieux, qui vole haut dans le ciel des principes sans avoir à s’incarner dans des propositions concrètes et réalisables. Dès lors que l’on fait l’effort de seulement imaginer une société sans pauvreté, les doutes s’installent et les bons sentiments renâclent : faire disparaître la pauvreté, bien sûr, évidemment, sans aucun doute, mais quand même… quand même pas au point d’accepter la redistribution des richesses, pas au point de n’avoir personne qui soit contraint de faire les tâches ingrates, pas au point de devoir payer certains travaux à un prix plus élevé que celui que garantit l’existence d’une « armée de réserve » de miséreux. "

Payot. 348 pages.
2020.

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