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lilly et ses livres
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31 octobre 2020

Portrait de femme - Henry James

portrait" - Je l'ai trouvée par un jour pluvieux dans une vieille maison d'Albany, assise dans une pièce lugubre, lisant un ouvrage indigeste et s'ennuyant à périr. Elle ignorait qu'elle s'ennuyait mais je ne lui ai laissé aucun doute sur ce point et elle m'a paru très reconnaissante de ce service. "

Lorsque Mrs Touchett, épouse d'un respectable banquier américain établi en Angleterre, revient chez son époux avec sa nièce, elle est loin de se douter des conséquences de sa décision. Isabel Archer, jeune américaine peu fortunée mais avide de connaissances et d'expériences, va charmer l'Europe, à commencer par son oncle et son cousin, le chétif Ralph.
Son tempérament orgueilleux et quelques mauvaises rencontres vont cependant bien vite lui jouer des tours.

C'est avec beaucoup d'appréhensions que j'ai ouvert ce livre. Henry James est un auteur dont j'ai adoré certains titres, essentiellement des nouvelles, mais qui m'a également procuré d'inoubliables moments d'ennuis avec ses romans.
La malédiction semble rompue. Portrait de femme est peut-être mon plus gros coup de coeur de l'année (j'hésite encore avec Les Raisins de la colère). Je ne me rappelle plus à quand remonte la dernière fois où j'ai, comme ici, repoussé l'heure de mon coucher de façon très imprudente pour avoir le plaisir de lire encore un chapitre, puis un autre. J'ai atteint la dernière page avec un mélange d'impatience et d'appréhension tant j'étais avide de connaître le dénouement tout en souhaitant que cette histoire s'étire encore et encore.

L'intrigue m'a captivée de bout en bout. J'ai autant savouré l'aventure anglaise d'Isabelle Archer que son arrivée en Italie. J'ai éprouvé toute l'affection du monde pour le vieux Mr Touchett et son fils, bien que ce dernier ne soit pas exempt de défauts. J'ai admiré avec un peu de mépris Henrietta Stackpole, Mrs Touchett et même la comtesse Gemini. J'ai évidemment détesté Mrs Merle et Mr Osmond.
James étudie avec une finesse absolue la psychologie de ses personnages. Certes, il se moque souvent d'eux, critique leurs travers et ceux de leur époque : le radicalisme hypocrite de Warburton, l'indépendance et la frivolité de la journaliste américaine, l'attitude encourageante d'Osmond face aux idées de son épouse, à condition que ce soit aussi les siennes... Mais derrière cette légèreté, tous les habitants de ce livre ont leur complexité et sont incarnés de façon admirable. Les lecteurs naïfs (dont je suis) peu habitués à rencontrer des personnages aussi peu manichéens, sont bernés et éprouvés par l'auteur. Les mariages sont tous désastreux, les amitiés parfois très malsaines. S'il semble impossible de comprendre Isabel  à première vue tant ses décisions semblent absurdes, une prise en compte du décalage entre ses aspirations, ses prétentions, ses faiblesses et ses traditions ne peut que conduire au destin qui est le sien. De même, des personnages comme la comtesse Gemini et Henrietta Stackpole se révèlent bien moins superficielles et stupides qu'elles n'y paraissent ou le clament.

" - Quelle dommage qu'elle soit si charmante, déclara la comtesse. Pour être sacrifiée, la première venue aurait fait l'affaire. Pas besoin d'une femme supérieure.
- Si elle ne l'était pas, votre frère ne l'aurait jamais regardée. Il exige ce qu'il y a de mieux. "

Et si Mrs Touchett a ses défauts, sa dernière phrase au sujet de la maternité m'a brisé le coeur. 

J'aimerais vous citer tous les passages que j'ai notés. Chaque phrase de ce roman est un bijou. Chaque mot est à la bonne place pour produire l'effet voulu. Jusqu'à la dernière page (quelle fin !!! ). Il y a de la répartie, de l'humour, toute une palette de sentiments, des descriptions grandioses. On compare parfois James à un peintre, la lecture de ce livre m'a également donné cette impression.

" Le vieux gentleman assis près de la table basse était arrivé d'Amérique trente ans plus tôt ; il avait apporté avec lui, dominant tout son bagage, sa physionomie américaine. Non content de l'avoir apportée, il l’avait entretenue dans un état parfait, de telle sorte qu’il aurait pu la ramener en toute confiance dans son pays natal, en cas de nécessité. "

James est donc un peintre de la physionomie et de la psychologie humaine, mais aussi un peintre des lieux qu'il nous fait visiter. L'Italie surgit sous sa plume. Je suis retournée dans les ruines de Rome et à la Galerie des Offices. J'ai senti la douceur de Florence; l'amertume de Rome et le temps pour le moins changeant (mais tout aussi délicieux à mon goût) de l'Angleterre.

Un livre qui m'a fait rire, qui m'a enchantée, bouleversée et révoltée à la fois. L'une des meilleures recettes pour faire un chef d'oeuvre.  Lisez-le !

Les avis de Dominique et Keisha.

10/18. 689 pages.
Traduit par Claude Bonnafont.
1880 pour l'édition originale.

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21 octobre 2020

La Vallée de la Lune - Jack London

luneOakland, début du XXème siècle. Saxonne est jeune, idéaliste et volontaire. Descendante d'une poétesse ayant participé à la conquête de l'Ouest, elle est persuadée d'être destinée à une existence peu ordinaire. Lorsqu'elle rencontre Billy, charretier de profession mais ancien boxeur, c'est le coup de foudre.
Cependant, la lutte entre patrons et syndicats fait rage et pourrait bien ruiner leur bonheur.

C'est peu dire que j'ai lutté pour venir à bout de ce roman de six cents pages. Il contient énormément de passages qui auraient mérité d'être supprimés et son discours est tour à tour ennuyeux et dérangeant.

On dit souvent de la littérature américaine qu'il s'agit d'une littérature de pionniers, qu'on y trouve une réécriture perpétuelle de la Bible. Avec La Vallée de la Lune, difficile de passer à côté de la recherche de la Terre Promise entreprise par Billy et Saxonne après avoir subit les brimades du capitalisme.

La première partie est une charge contre les inégalités sociales, les grands patrons, l'injustice du système judiciaire. Du pur Jack London. Lorsque les grèves s'enclenchent, l'auteur décrit avec précision la violence qui s'empare des individus, les meurtres des briseurs de grève, les condamnations à mort en représailles. Les quelques richesses que Saxonne et Billy avaient amassées sont bien vite englouties et remplacées par des dettes de toutes parts. La tentation de l'alcool n'est pas loin non plus. 

" Archie, ce gosse, a volé deux dollars et quatre-vingt cents à un poivrot, et il en a pris pour cinquante ans. J. Allison Forbes, lui, a fauché deux millions de dollars à l'Alta Trust et on lui a collé moins de deux ans de prison. Qu'est-ce que c'est que ce foutu pays ? "

Saxonne n'est pas du genre à se résigner. Elle est convaincue qu'en tant que descendante de combattants américains, elle n'a pas moins de droits que les autres. Après une rencontre avec un jeune garçon rêvant d'ailleurs ayant de sérieux airs de Jack London en personne, elle trouve la solution à ses problèmes. Quitter Oakland, sa violence et sa misère.

C'est à ce moment que le roman devient problématique dans son discours. C'est d'abord insidieux. Au fil de leurs rencontres, Billy et Saxonne accumulent du savoir sur le monde rural, les cultures et adoptent un discours qui n'est plus seulement idéaliste. On retrouve dans ce roman toutes les contradictions de Jack London. Bien que méprisant les élites, il les envie et les célèbre également. C'est ainsi que Mrs Mortimer, ancienne bibliothécaire ou les intellectuels de Carmel apparaissent comme de véritables modèles.
Si j'ai souri à ce dernier point, j'ai en revanche eu beaucoup de mal à voir Saxonne et Billy se comporter de plus en plus comme leurs anciens ennemis. Au fil du roman, les héros de London adhèrent de plus en plus visiblement à l'idée selon laquelle les individus obtiennent ce qu'ils méritent. Les dernières pages, dans lesquelles Saxonne et Billy se montrent condescendants à l'extrême envers les "têtes à deux dollars par jour" et magouillent pour obtenir le meilleur prix de terres dont ils ont deviné la grande valeur au détriment de celui qu'ils voient comme un imbécile m'ont donné la nausée. Je ne connaissais pas le Jack London simpliste.

On passe de la violence de la lutte des classes à la célébration du rêve américain sans la moindre nuance. Dérangeant et franchement raté.

Libretto. 601 pages.
Traduit par Louis et François Postif.
1913 pour l'édition originale.

Challenge Jack Londo 03 copie

11 octobre 2020

A rude épreuve (La Saga des Cazalet II) - Elizabeth Jane Howard

rudeSeptembre 1939. Après des mois d'incertitude, la guerre est déclarée. A Home Place, les Cazalet s'organisent. Les adultes décident de faire de la résidence familiale le lieu où ils vivront principalement.
Cependant, tous ne sont pas forcément satisfaits du rôle qu'on leur attribue et doivent jongler ou choisir entre leurs aspirations personnelles et l'intérêt collectif.

Quel plaisir de retrouver la famille Cazalet ! Encore plus que dans le tome précédent, Elizabeth Jane Howard utilise les ficelles de la saga familiale pour développer des thèmes tels que le passage à l'âge adulte ou l'émancipation féminine tout en proposant en toile de fond une reconstitution très vivante de la Bataille d'Angleterre.
Les bombes pleuvent, les industries et les habitations sont détruites et les enfants sont envoyés à la campagne. Bien qu'ils soient privilégiés du fait de leur situation géographique mais aussi et surtout de leur richesse, la guerre impacte aussi les habitants de Home Place.

"Les choses qui jadis auraient été remplacées devaient maintenant être réparées ; le coke et le charbon étant rationnés, il fallait couper davantage de bois, et Villy, avec l’aide de Heather, passait environ deux après-midi par semaine armée de la grande scie à débiter les troncs que Wren rapportait de la forêt, traînés par le vieux poney. Il fallait aller chercher l’eau potable à la source et remonter les bouteilles en haut de la côte dans une brouette, puisque leur ration d’essence suffisait tout juste à assurer les trajets à la gare et un voyage hebdomadaire à Battle pour faire les courses. Il y avait des montagnes de linge à laver, et réussir à le faire sécher en hiver était un cauchemar, en l’absence de chauffage central – que la Duche jugeait malsain. Villy avait installé une corde dans la chaufferie, vidée et nettoyée par Tonbridge – qui s’était révélé incapable de couper le bois –, et la pièce était toujours pleine de vêtements fumants. La préparation de conserves de fruits et légumes, à cette période de l’année, constituait également un travail à plein temps."

Comme dans Etés anglais, les femmes ressentent des émotions contradictoires vis-à-vis du rôle qu'elles doivent jouer. Les temps ont changé, elles le savent. Elles sentent que dans un futur proche il leur sera possible d'avoir un rôle autre que domestique. Elles pourront faire carrière, aimer la ou les personnes qu'elles veulent, divorcer, contrôler leur sexualité. Bien qu'assez antipathiques, Louise et Villy sont touchantes dans leur façon d'essayer de mener leur vie. La guerre est d'autant plus cruelle pour elles qu'elle essaye de les renvoyer dans le passé ou les oblige à passer pour des monstres d'égoïsme.
Ce tome fait la part belle aux enfants et évoque du fait de l'âge des enfants Cazalet le passage à l'âge adulte. Ils sont pour la plupart encore trop jeunes pour qu'on leur dise la vérité comme à des égaux et trop âgés pour se laisser berner.

" C’est atroce, cette façon qu’ils ont de nous traiter comme des bébés.

— Je suis entièrement d’accord. D’autant que si nous étions des garçons, dans un an nous aurions l’âge d’être envoyés en France mourir pour notre pays. "

De la même façon que les femmes savent que leur condition atteint un tournant, les adolescents perçoivent que la guerre s'apprête à modifier le monde dans lequel ils grandissent et qui ne sera bientôt plus pareil, quand bien même les classes dirigeantes espèrent éviter cela.

" Plus de domestiques ! Comment se débrouilleraient-ils sans eux ? Au moins, maintenant, elle savait cuisiner, ce qui était plus qu’on ne pouvait en dire d’eux tous. En cas de révolution sociale, ils mourraient de faim. "

Peu à peu, ils prennent conscience que leurs parents ne sont que des êtres humains avec leurs faiblesses et leurs préoccupations. La vie et les relations sociales leur apparaissent dans toute leur complexité.
Comme dans toutes les familles, il y a des secrets plus ou moins légitimes ou plus ou moins avouables. Edward est aussi écoeurant que jamais, son frère Hugh et sa soeur Rachel sont surtout maladroits et perdus. Si la guerre occupe les esprits, elle n'arrête pas la maladie, la mort, les trahisons et l'amour.

Une lecture idéale en ce début d'automne au temps incertain. Je serai au rendez-vous pour la parution du prochain tome.

Je remercie les Editions de la Table Ronde pour ce livre.

La Table Ronde. 571 pages.
Traduit par Cécile Arnaud.
1991 pour l'édition originale.

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