olga"Un écrivain dépouille la réalité de ce qu’elle contient de plus important : l’indicible."

C'est l'hiver dans le sud de la Pologne, à quelques kilomètres de la frontière tchèque. Janina Doucheyko est l'une des seules habitantes de son hameau à demeurer à l'année sur le plateau. Elle s'occupe des maisons inoccupées de ses voisins et donne quelques cours dans l'école de la ville d'à côté. Un soir, Matoga, son voisin, vient la chercher car il a découvert le corps sans vie de la troisième personne vivant dans le hameau, Grand Pied. Cet homme désagréable, braconnier et maltraitant avec sa chienne s'est étouffé avec un os de la biche qu'il était en train de dévorer. Alors que Janina et Matoga s'approchent de la maison, ils croisent des biches. Passionnée d'astrologie, Janina est alors persuadée que Grand Pied a été tué par les animaux de la forêt.
Sa théorie d'animaux vengeurs semble se confirmer lorsque d'autres individus, tous chasseurs, sont découverts morts. A chaque fois, des traces animales sont présentes sur les lieux du crime. Mais Janina est une vieille dame et personne ne la croit.

Voilà un roman que j'ai adoré ! J'ai eu beaucoup de mal à le lâcher et il m'a fallu à peine quelques jours pour le terminer.

A la fois roman policier, fable écologique et texte féministe, l'écriture de Sur les ossements des morts est aussi très fluide ce qui en rend la lecture très agréable.
Janina, le personnage principal du livre, est inoubliable. C'est une femme seule la plupart du temps. Seule dans sa maison, seule dans son hameau, seule dans son combat contre les chasseurs et seule dans ses drames. Sa principale distraction est la traduction des vers de William Blake avec Dyzio, son ancien étudiant. Au fil du roman, elle tisse toutefois des liens avec d'autres personnages un peu à la marge, comme elle. Car au-delà de cette solitude, Janina est surtout une sacrée bonne femme. Convaincue par l'astrologie et avec son caractère bien trempé, elle n'hésite pas à harceler la police à propos des meurtres et disparitions qui se produisent. En vain.

"Quand on arrive à un certain âge, il faut accepter le fait que les gens se montrent constamment irrités par vous. Dans le passé, j’ignorais l’existence et la signification de certains gestes, comme acquiescer rapidement, fuir du regard, répéter « Oui, oui » machinalement, telle une horloge. Ou bien encore vérifier sa montre ou se frotter le nez. Maintenant, je comprends bien ce petit manège qui, au fond, exprime une phrase toute simple : « Fiche-moi la paix, la vieille. » Il m’arrive parfois de me demander quel traitement on réserverait à un beau jeune homme qui dirait la même chose que moi. Ou à une jolie brunette bien roulée."

"Mon caractère possède une particularité qui brouille l’image de la répartition des planètes. Je les observe à travers mon angoisse et, malgré une apparente sérénité d’esprit, que les gens m’attribuent dans leur grande naïveté, je vois tout en noir, comme à travers une vitre fumée. Je regarde le monde de la même façon que les gens observent une éclipse du Soleil. Moi, je vois l’éclipse de la Terre. Je vois les gens se mouvoir à tâtons au milieu de l’obscurité éternelle, tels des hannetons enfermés dans une boîte par un gamin cruel. Il est facile de nous faire du mal, de nous abîmer, de casser en mille morceaux la minutieuse construction de notre existence étrange. Pour moi, tout semble anormal, horrible et menaçant. Je ne vois que des catastrophes. Mais puisque, au commencement, il y a la Chute, peut-on tomber plus bas encore ?
Quoi qu’il en soit, je connais la date de ma propre mort, et cela me rend libre."


Après ma lecture de Jonathan Safran Foer, j'ai naturellement été touchée par le discours de ce livre. L'auteur nous donne à voir une faune et une flore fragiles, à la merci des hommes. Les carrières à proximité pourraient bien être ouvertes de nouveau. Même chez eux, les animaux sont en danger, car de petites cabanes servent aux chasseurs, avec la bénédiction de tous, y compris le Père Froufrou. Janina aime la nature, les animaux et souhaiterait voir un équilibre respectueux s'installer entre eux et les hommes. Sauf qu'une guerre est déclarée, et le camp des animaux a décidé de répliquer.

"Tenez-vous loin des ambons, car ils ne servent pas à vous prêcher l’Évangile, vous n’y entendrez aucune bonne parole, on ne vous promettra pas de salut après votre mort, on ne s’apitoiera pas sur votre pauvre âme, parce que vous en êtes dépourvus. Personne ne verra en vous son prochain, personne ne vous donnera sa bénédiction. Le pire des assassins possède une âme, mais pas toi, belle biche, pas toi, sanglier, pas toi, oie sauvage, ni toi, cochon, ni toi, chien. La tuerie demeure impunie. Et puisqu’elle est impunie, personne n’y prête attention. Et puisque personne n’y prête attention, elle n’existe pas."

Ce n'est pas vraiment un roman à suspens et en même temps on sent une tension permanente dans ce livre dont je suis ressortie pour le moins secouée. Une très belle découverte ! 

Olga Tokarczuk vient d'obtenir à retardement le Prix Nobel de Littérature. Je ne prête pas grande attention aux prix (et encore moins en ce moment), mais je me réjouis à l'idée que cela favorise la diffusion de ses œuvres en France.

Une lecture faite dans le cadre du Mois de l'Europe de l'Est d'Eva, Patrice et Goran.

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Plein de beaux billets chez Claudialucia, Dominique, Marilyne, Ellettres (ou comment se sentir encore plus minable face à de telles commentatrices...).

Libretto. 281 pages.
Traduit par Margot Carlier.
2010 pour l'édition originale.