Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
lilly et ses livres
Newsletter
Derniers commentaires
19 février 2020

Miroir de nos peines - Pierre Lemaître

lemaîtreLouise a trente ans lorsque débute la "Drôle de guerre". Bien qu'exerçant le métier d'institutrice, elle est aussi serveuse dans le restaurant de Monsieur Jules. Un jour, le docteur, grand habitué de La Petite Bohème, demande un curieux service à la jeune femme, service qui va bouleverser sa vie.
Gabriel, de son côté, est mobilisé sur la Ligne Maginot, dont le rôle est d'empêcher l'invasion allemande (ce qui, comme chacun le sait, sera fort utile...). Parmi ses camarades de garnison se trouve un certain Raoul Landrade, "la plaque tournante de tous les magouillages", qui va l'entraîner malgré lui dans des situations des plus inconfortables.
Enfin, Désiré Migault est un véritable caméléon. Avocat brillant, responsable de la propagande ou prêtre, il n'a pas son pareil pour convaincre les plus récalcitrants. Qui le démasquera ?

Je dois faire partie des rares personnes aimant lire à ne jamais avoir lu Pierre Lamaître. J'avais bien commencé Au revoir là-haut lors de sa sortie, mais le style de Pierre Lemaître ne supportait vraiment pas la comparaison avec Erich Maria Remarque dont je venais d'achever la lecture. Depuis, j'ai vu la superbe adaptation du roman par Albert Dupontel, qui m'a donné envie de redonner sa chance à l'auteur.
Je ne vais pas faire de mystère, je suis assez déçue par ce livre.
Pourtant, Miroir de nos peines n'est pas un livre épouvantable, que ce soit clair. C'est l'auteur en personne qui le lit dans l'édition Audiolib, et le moins qu'on puisse dire est qu'il s'agit d'un très bon conteur. Il aime ses personnages, leur donne vie avec talent et a beaucoup d'humour. Désiré, Raoul et Monsieur Jules en particulier m'ont séduite. Ce sont des personnages hauts en couleur, irrésistibles malgré (ou plutôt grâce à) leur aplomb ou leur mauvais caractère. Grâce à eux, Lemaître nous délecte de descriptions de la débâcle de l'armée française, que la censure dissimule de manière éhontée jusqu'au bout. Ainsi, Désiré, devenu censeur modèle, rature les lettres des soldats à leur famille :

"Il ouvrit les lettres des soldats à leurs parents et, considérant qu’il fallait s’attaquer prioritairement au cœur de la syntaxe, il supprima tous les verbes. Les destinataires reçurent alors des courriers du type : « On      ferme, tu      . On      d’une corvée à l’autre sans      vraiment ce qu’on      là. Les copains      souvent, tout le monde      . »

Chaque matin, le service recevait des instructions nouvelles que Désiré appliquait aussitôt avec zèle et précision. S’il était rappelé de censurer toute information concernant, par exemple, le pistolet-mitrailleur MAS 38, outre les verbes, Désiré caviardait tous les « M », les « A » et les « S ». Cela donnait quelque chose comme : « On      fer e, tu      . On      d’une corvée l’utre n      vr i ent ce qu’on      l. Le cop in      ouvent, tout le onde      . »

Même les pires moments sont rapportés de façon presque humoristique ou sont sont contrebalancés par les bonnes choses qui en ressortent.
Au final, rien n'est vraiment grave, et pour moi c'est là où le bât blesse. Je n'ai rien contre les histoires tragiques racontées sur le ton de l'humour. Je l'ai dit, j'adore Dupontel, et le film de Kheiron, Nous trois ou rien (qui se passe en partie dans les prisons iraniennes...), est l'un des films que j'ai le plus appréciés ces derniers temps. Mais ici, rien ne semble grave ou presque. A part le meurtre de sang froid de quelques prisonniers, à aucun moment je n'ai ressenti à quel point cette histoire était dramatique. Au bout d'un moment, j'ai été lassée par ce ton guilleret, ce récit devenant mièvre et dans lequel les coïncidences se mettent à pleuvoir pour boucler la boucle et permettre à tout le monde de s'en sortir, de se retrouver et de s'aimer. C'est sympathique mais insuffisant pour me plaire.

Pour les adeptes de l'auteur, il annonce dans un entretien après sa lecture qu'il va écrire une nouvelle trilogie qui se déroulera durant les Trente Glorieuses. Pour ma part, je vais m'arrêter là.

Audiolib. 14h01.
2020.

Publicité
12 février 2020

Sombres citrouilles - Malika Ferdjoukh

sombres"Les petits enfants savent voler, c'est bien connu depuis Peter Pan. J'ai donc, chaque année, moins d'enfance pour m'aider. J'ai treize ans et demi, voilà tout."

C'est le 31 octobre, jour de l'anniversaire de Papigrand. Comme chaque année, la famille Coudrier se rassemble pour célébrer l'événement. Pourtant, cette année, la fête risque d'avoir une saveur amère. Dimitri, le fils préféré de Mamigrand a disparu en mer. Et puis, surtout, Hermès, Colin Six-ans et les jumelles Violette et Annette ont découvert un cadavre dans le potager. Cadavre qu'ils ont caché. Qui a bien pu tuer cet homme ? Et pourquoi ?

Voilà des années que je souhaite profiter d'Halloween pour enfin me plonger dans ce livre sans y parvenir. La sortie de l'adaptation en bande-dessinée m'a finalement décidée.
Je pensais trouver une histoire amusante et un peu effrayante, mais pour cela il faudra que je me tourne vers d'autres livres. A vrai dire, je suis surprise que Sombres citrouilles soit publié dans une édition jeunesse.
Certes, les narrateurs sont des enfants, mais des enfants qui rapportent des histoires d'adultes. On sent rapidement les tensions entre les enfants et leurs parents, entre la fille dont on a honte, celle qui retarde son arrivée, l'oncle dont personne ne savait la présence et celui qui ne viendra plus jamais. Quant à Mamigrand, elle a beau prendre soin de tout ce petit monde, il apparaît vite évident qu'elle n'est pas la mamie gâteaux dont rêvent les enfants.

citrouilles2Si les adultes sont moches, décevants, les enfants, eux, sont merveilleux. Ils prennent tous les risques afin de sauver un renard pourchassé et agissent pour permettre la réunion d'un couple de hérissons. Ce sont des enfants abîmés par les grandes personnes de leur famille, mais comme tous les enfants, même lorsqu'ils sont dédaignés, ils essaient de protéger les adultes.

Alors que la journée se déroule, les plus grands enquêtent afin de démasquer le meurtrier. Et dans une maison comme la Coudrière, les vieux meubles renferment bien des secrets.

C'est assez perturbant tant certains liens sont toxiques, mais en même temps il y a du suspense, de l'humour, de la tendresse et les noms à coucher dehors qui font la marque de Malika Ferdjoukh. C'est toujours un plaisir de la lire.

"Le feu d'artifice explosait dans toute la campagne, illuminant les collines, les champs et les marécages, d'étoiles, peut-être féériques, peut-être maléfiques...
Pour le petit renard tapi entre les racines, ce n'étaient que des coups de fusil ! Des fusils gigantesques, monstrueux, dont les balles montaient dans le ciel au-dessus des arbres en un vacarme qu'il n'avait encore jamais entendu de sa vie.
Alors, malgré sa pattes en mille morceaux, malgré la douleur qu'il transportait à ses flancs et qui le rendait fou, la terreur le submergea et le rendit plus fou encore. Il sortit de sa cachette, traînant sa patte, traînant le bandage maladroit que lui avait fait le petit enfant tout à l'heure. D'un coup de dents, il l'arracha. Puis il voulut courir. Il vacilla. Il essaya encore. Il avança. Et continua."

Quant à l'adaptation en bande-dessinée, je la trouve superbe. Les dessins donnent une ambiance surannée, la campagne est superbe et les scènes de nuit sont d'une beauté à couper le souffle.

L'Ecole des Loisirs. 222 pages.
2000 pour l'édition originale.

Rue de Sèvres. 153 pages.
Illustré par Nicolas Spitz.
2019.

2 février 2020

Faut-il manger les animaux ? - Jonathan Safran Foer

faut-il-manger-les-animaux-jonathan-safran-foer"Nous savons que si quelqu’un nous propose de nous montrer un film sur la façon dont notre viande est produite, ce sera un film d’horreur."

Alors que le monde est en proie à la panique en raison du coronavirus, la lecture de ce livre de Jonathan Safran Foer a eu une raisonnance particulière.

En effet, l'auteur s'y interroge sur la consommation d'animaux et sur la barbarie de l'élevage industriel, qui produit l'immense majorité de la viande que nous consommons en Occident, et pose des questions éthiques, environnementales et de santé publique.

Comment en est-on arrivé à élever des milliards d'animaux dans des espaces exigus, sans aucun respect de leurs habitudes sociales ou de leur croissance naturelle, au point que cela semble normal qu'ils ne soient plus capables de se reproduire naturellement et qu'un taux de mortalité de 10% semble acceptable ?

Qui est responsable ? Les grands groupes ? Les éleveurs (qui n'en sont plus vraiment) ? Les consommateurs ?

"Vous savez, le fermier américain a nourri le monde. On lui a demandé de le faire après la Seconde Guerre mondiale et il l’a fait. Jamais le monde n’a pu se nourrir comme il le fait aujourd’hui. Les protéines n’ont jamais été meilleur marché.[...] Ce que je déteste, c’est quand les consommateurs font comme si c’étaient les fermiers qui voulaient que ça se passe ainsi, alors que ce sont les consommateurs qui disent aux fermiers ce qu’ils doivent produire. Ils veulent de la nourriture bon marché ? Nous la leur fournissons. S’ils veulent des œufs de plein air, ils vont devoir les payer beaucoup plus cher. Parce que c’est plus économique de produire les œufs dans d’immenses élevages avec des poules en cage. C’est plus efficace, et donc plus durable, même si je sais que ce mot est souvent utilisé contre l’industrie. De la Chine à l’Inde et au Brésil, la demande de produits animaux est en augmentation – et en augmentation rapide. Vous croyez que de petites fermes familiales pourraient nourrir dix milliards d’hommes ? "

Je n'ai jamais eu le courage de regarder les vidéos tournées dans les abattoirs ou celles montrant les vaches hublots qui ont eu un grand retentissement il y a quelques mois. Elles démontrent cependant que l'on ne peut pas prendre le livre de Jonathan Safran Foer comme une description des seuls Etats-Unis. La pollution des sols par les élevages porcins est une réalité en France, tout comme la maltraitance des animaux dans les abattoirs et dans les élevages.
Pas plus qu'en France, l'auteur ne parvient à pénétrer légalement dans les élevages et les abattoirs qu'il dénonce. Il nous livre donc des témoignages et étudie les lois qui permettent d'élever des volailles, des porcs et des bovins de façon à ce qu'ils coûtent le moins possible, qu'ils grossissent rapidement, au détriment de leur bien-être, de leur santé et même de celle des consommateurs.

"Entre 1935 et 1995, le poids moyen des poulets de chair a augmenté de 65 %, tandis que la durée de leur croissance maximale chutait de 60 % et leurs besoins en nourriture de 57 %. Pour se faire une idée du caractère radical de ce changement, il faut imaginer des enfants atteignant 150 kilos à l’âge de dix ans tout en ne mangeant que des barres de céréales et des gélules de compléments vitaminés."

C'est un billet très engagé de Cachou, il y a déjà fort longtemps, qui avait attiré mon attention sur ce livre et probablement engagé ma réflexion sur le fait de manger ou non de la viande et du poisson (comme quoi l'auteur atteint bien son but).
Je ne suis pas végétarienne bien que, comme de nombreuses personnes autour de moi, j'ai diminué ma consommation de viande depuis plusieurs années et que j'essaie de favoriser au maximum de choisir des produits dont je connais la provenance. J'ai dans mon entourage des éleveurs respectueux de leurs bêtes et qui leur proposent ce que Jonathan Safran Foer considère comme la vie la moins désagréable que l'on puisse vivre lorsqu'on est destiné à être mangé. Mais je sais aussi que la plupart des produits animaliers que l'on consomme sont issus d'un système que je refuse de voir pour mon propre confort.

Dans ce livre, Jonathan Safran Foer décrit très concrètement le traitement réservé aux animaux d'élevage. De leur naissance jusqu'à leur abattage, ces êtres vivants sont soumis à des modes de vie que personne ne peut défendre. Il admet que l'homme est culturellement habitué à manger des produits animaliers dans la plupart des pays du monde. Il tort cependant le cou à l'argument selon lequel les végétariens et les végétaliens seraient de simples sentimentaux.

"Vouloir se renseigner sur le traitement des animaux d’élevage traduit-il une volonté de confrontation avec les faits relatifs aux animaux et à nous-même, ou bien est-ce une façon de les fuir ? Soutenir qu’on devrait accorder plus de valeur à un sentiment de compassion qu’au fait de pouvoir obtenir un hamburger moins cher (ou même que de manger un hamburger) est-il l’expression d’une émotion ou d’une réaction impulsive, ou bien le résultat d’une confrontation avec la réalité et avec nos intuitions morales ?"

Jonathan Safran Foer est végétarien. Son propos est donc de nous exposer ses arguments pour nous convaincre de bannir la viande issue de l'élevage industriel de nos assiettes, voire d'adhérer au végétarisme.
Pour lui, être végétarien ne suffit pas. Il faut faire des émules, militer, voire participer à des choses que l'on ne cautionne pas. Il prend ainsi l'exemple d'un végétalien ayant oeuvré pour la construction d'un abattoir. A première vue, on plonge dans l'absurde. Cependant, lorsque l'on comprend qu'il s'agit de proposer aux rares éleveurs de volailles soucieux des techniques d'abattage un endroit où leurs bêtes ne seront pas abattues dans des conditions atroces (à base de tortures plus ou moins volontaires), cela semble un moindre mal.

Outre les tortures infligées aux animaux, l'élevage industriel est une catastrophe pour l'environnement. Les déjections animales ne peuvent être absorbées par les sols, qu'elles polluent tout comme l'air, tuant la faune environnante.

"Dans le monde entier, les municipalités se battent pour se protéger de la pollution et de la puanteur des élevages industriels, en particulier des zones de confinement de l’élevage porcin."

La pêche industrielle n'est pas en reste.

"Et les lignes de traîne ne tuent pas que leurs « espèces cibles », mais 145 autres avec elles. Une étude a montré qu’environ 4,5 millions d’animaux marins sont tués chaque année en tant que prises accessoires par les lignes de traîne, dont à peu près 3,3 millions de requins, un million de marlins, 60 000 tortues de mer, 75 000 albatros et 20 000 dauphins et baleines."

Quant aux hommes, l'élevage industriel n'est finalement pas la solution pour leur permettre de manger à leur faim, et encore moins d'être en bonne santé. La faute notamment aux antibiotiques administrés systématiquement aux animaux, alors même que l'on nous martelle constamment que ces médicaments ne doivent être pris que de manière ciblée, afin de ne pas rendre les bactéries résistantes.

"Et qu’arrive-t-il aux gens qui mangent ces volailles ? Pas plus tard que l’autre jour, un pédiatre me disait qu’il diagnostiquait tout un tas de maladies qu’il ne voyait jamais avant. Et pas seulement du diabète juvénile, mais aussi des maladies inflammatoires et auto-immunes que beaucoup de médecins ne savent même pas identifier. Les gamines commencent leur puberté beaucoup plus jeunes, les gosses sont allergiques à peu près à tout, l’asthme est totalement hors de contrôle. Tout le monde sait que ça vient de notre nourriture. On tripatouille les gènes de ces animaux et ensuite on les nourrit avec des hormones de croissance et toutes sortes de produits dont on ne sait pas grand-chose. Et ensuite on les mange. Les gosses d’aujourd’hui sont la première génération à être nourrie avec ces trucs-là et en réalité on les utilise comme des cobayes. N’est-ce pas curieux de voir comment les gens s’excitent à propos de quelques dizaines de joueurs de base-ball qui prennent des hormones de croissance quand nous faisons ce que nous faisons à nos animaux de consommation et que nous les donnons à manger à nos enfants ?"

Un livre passionnant et percutant à mettre entre toutes les mains.

Points. 388 pages.
Traduit par Gilles Berton et Raymond Clarinard.
2009 pour l'édition originale.

Publicité