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lilly et ses livres
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25 avril 2018

Mémoire de fille - Annie Ernaux

ernauxJe n'en parle pas beaucoup ici, mais depuis ma lecture de Regarde les lumières mon amour, Annie Ernaux est devenue l'un des auteurs que je lis le plus.

Dans Mémoire de fille, elle convoque la jeune fille de dix-huit ans qu'elle était en 1958, alors que la Guerre d'Algérie n'est encore connue que sous le nom "d'événements".
Annie Duchesne, cloîtrée dans des institutions scolaires religieuses et surveillée étroitement par ses parents, se rend dans un centre où elle a été engagée comme monitrice d'une colonie de vacances durant l'été. Là-bas, elle va connaître ses premières expériences sexuelles et rencontrer son premier amour.

Annie Ernaux s'est toujours mise en scène dans ses livres, non par besoin de se montrer, mais afin de créer des romans universels. Certaines de ses thématiques sont douloureuses et d'autres honteuses, ce qui est le cas ici.

Avant même les premières lignes du roman, dès la citation de Poussière de Rosamond Lehmann, relatant l'embarras ressenti par l'héroïne d'avoir exposé ses sentiments, Annie Ernaux annonce la couleur. Elle n'est pas fière de la jeune fille de 1958, et elle n'admet leur lien de parenté que difficilement. Le portrait que l'auteur brosse d'elle-même est tout sauf flatteur : on découvre une jeune fille immature, inexpérimentée et transparente, fascinée par les icônes de ces années-là, qui n'a aucune conscience que tous se moquent d'elle et en abusent.

Outre la gêne que ressent l'auteur vis-à-vis de celle qu'elle était il y a un demi-siècle, elle explique qu'elle n'est évidemment plus la même, et qu'il lui est très difficile de reconstituer la personne qu'elle était alors, de deviner ses ressentis, sans être polluée par des expériences ultérieures. Annie Ernaux mène une véritable réflexion sur l'écriture autobiographique, soulevant des questions que je n'avais jamais lues aussi clairement dans un récit autobiographique.

Plus je fixe la fille de la photo, plus il me semble que c’est elle qui me regarde. Est-ce qu’elle est moi, cette fille ? Suis-je elle ? Pour que je sois elle, il faudrait que
je sois capable de résoudre un problème de physique et une équation du second degré
je lise le roman complet inséré dans les pages des Bonnes soirées toutes les semaines
je rêve d’aller enfin en "sur-pat"
je sois pour le maintien de l’Algérie française
je sente les yeux gris de ma mère me suivre partout
je n’aie lu ni Beauvoir ni Proust ni Virginia Woolf ni etc.
je m’appelle Annie Duchesne.

L'entreprise d'Annie Ernaux est une réussite absolue. Elle décortique les faits, les gestes et les émotions du premier amour (premier gros béguin) avec un réalisme saisissant. Elle analyse avec brio ce que même l'^tere le lus indifférent permet à celle qui l'aime de découvrir sur elle-même, même des mois plus tard.

Paradoxalement, si j'ai admiré le talent de l'auteur, ce livre ne sera pas mon préféré d'elle. En effet, l'Annie Duchesne que l'on découvre n'est pas très attachante (ni même intéressante). Ce n'est pas de sa faute, elle ressemble à la plupart des adolescentes de son âge. Mais, la vieille peau que je suis (en fait, pas tellement, mais l'adolescence commence à remonter pas mal) a largement dépassé le stade de ces tergiversations typiques des premières amours. C'est un pari osé de créer sciemment une héroïne si peu intéressante afin de respecter son engagement initial, mais Ernaux s'y tient sans complexe.

Outre la reconstitution de la jeune fille du titre, on retrouve les thématiques qui hantent l'oeuvre d'Annie Ernaux : la réussite scolaire, toujours couplée à la honte du milieu d'origine, les relations compliquées avec les parents, et la place de la femme. J'ai presque cinquante ans de moins que l'auteur, mais ce qu'elle raconte de sa jeunesse est universel. Même, malheureusement, pour les filles pour le coup nettement plus jeunes que moi, certaines réflexions  qu'Annie Duchesne a entendues dix ans avant Mai 68, sont toujours d'actualité. 

Un roman sur un autre maillon de la vie d'Annie Ernaux et ses conséquences, et peut-être celui où elle se montre le moins sûre de son entreprise, à la fois obsédée et terrifiée par la réalité de ce qu'elle retranscrit.

"Il me semble que j'ai désincarcéré la fille de 58, cassé le sortilège qui la retenait prisonnière depuis plus de cinquante ans dans cette vieille bâtisse majestueuse longée par l'Orne, pleine d'enfants qui chantaient C'est nous la bande des enfants de l'été.
Je peux dire : elle est moi et je suis elle."

Les avis de Sylire et de Lou.

Je remercie les éditions Folio pour cette lecture.

Folio. 164 pages.
2016 pour l'édition originale.

 

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21 avril 2018

Le poids des secrets, Intégrale - Aki Shimazaki

9782742790319FSComme son nom ne l'indique pas, Aki Shimazaki est un auteur de nationalité canadienne. Installée au Québec depuis presque trente ans, elle écrit en français, mais c'est bien dans son pays d'origine, le Japon, que se passe l'histoire du Poids des secrets.

Lorsqu'elle meure, Yukiko laisse deux lettres à sa fille. La première lui est adressée, la seconde est destinée au frère de Yukiko, Yukio, un oncle dont Nakiko ignorait l'existence. C'est ainsi que nous remontons à la Seconde Guerre mondiale, côté japonais.
Alors que l'attaque sur Nagasaki est imminente, un autre drame se joue à l'endroit où la bombe va frapper. Une adolescente découvre que celui qu'elle aime est son demi-frère, et commet un horrible crime.

A l'origine, j'avais prévu de ne lire que le premier tome de la série, Tsubaki. Cependant, au bout de cette petite centaine de pages, bien que partiellement convaincue, il m'a fallu lire la suite de cette histoire. J'ai donc dévoré l'intégrale en une semaine environ (cela représente moins de six cents pages).

Chacun des cinq livres est raconté d'un point de vue différent, les mêmes événements étant ainsi rapportés par plusieurs personnes qui ne prennent pas le temps de se parler.

Le poids des traditions a brisé plusieurs des personnages (et en a involontairement sauvé au moins une autre). Lorsqu'elle rencontre son amant, Mariko n'est qu'une fille sans père et sans passé, ce qui l'empêche d'être une épouse convenable. Pourtant, ce fait qui semble expliquer toute l'histoire, n'est que l'arbre qui cache la forêt, car tous ont leurs petits secrets inavouables. A force de marcher sur des oeufs, les personnages s'éloignent les uns des autres. Seul le lecteur, en suivant les différents protagonistes, connaît l'étendue du désastre. Seul le lecteur sait que les personnages pourraient rire de l'ironie du sort ensemble s'ils communiquaient et brisaient ces non-dits insupportables.
Ce qu'Aki Shimazaki donne à voir avec cette série, c'est l'impression que l'on a de connaître les autres, quand nous nous contentons souvent de projeter sur eux ce que nous voudrions ou craignons qu'ils soient. Cela donne des décalages pouvant prêter à sourire (qui voudrait savoir que ses grands-parents ont aimé d'autres gens, ou pire, qu'ils se sont trompés ? ), ou qui sont source de souffrance durant toute une vie.

Dans cette histoire de famille vient s'imposer la grande Histoire, celle du Japon des années 1920 aux années 1980. J'ignorais tout du tremblement de terre de 1923, de la présence chrétienne au Japon, ainsi que des relations entre la Corée et le Japon. Le poids du passé imprègne à la fois les personnages et la société niponne dans son ensemble dans cette série. Le dévouement obligatoire à l'empereur et à la patrie justifie la mise au ban de familles entières, celles dont les membres ont été fait prisonnier et qui n'ont pas eu le courage de se suicider. Ces injonctions et intolérances poussent ainsi les individus à dissimuler, parfois durant des décennies, ce qu'ils ont vécu, pour protéger leur famille. 

51JJPr-qBxLCette série est aussi servie pas une écriture magnifique, pleine de lucioles et de fleurs. N'attendez pas de grandes envolées lyriques, Aki Shimazaki a un style minimaliste que je n'ai pas immédiatement apprécié, mais qui m'a envoûtée, surtout à partir du troisième tome, Tsubame. Tout est décrit simplement, de façon assez froide, et c'est ce qui rend cette histoire d'occasions ratées et de bonheurs incomplets à la fois si belle et si triste.

On referme ces petits livres sans avoir toutes les réponses, mais c'est cohérent avec le reste de la série, qui dévoile pudiquement et furtivement des bribes de souvenirs. A l'image de Tsubaki, la petite-fille, celle qui n'a pas vécu les drames de sa famille, nous ne pouvons qu'imaginer ce qu'il y aura après le coup de sonnette de Yukio, ou ce que Tsubaki finira par découvrir.

" Le mot « sinistre » me fait penser à la scène du soir de la bombe atomique qu’Obâchan m’a racontée une fois : « J’ai vu une volée de lucioles au-dessus du ruisseau, qui était écrasé par les ruines des bâtiments. Les lumières de ces insectes flottaient dans le noir comme si les âmes des victimes n’avaient pas su où aller. » Je me demande où ira l’âme d’Obâchan. Va-t-elle errer pour toujours entre ce monde et l’autre monde ? Ses jours sont comptés. J’espère qu’elle trouvera le calme et pourra mourir en paix, comme Ojîchan. "

Je tiens là mon premier gros coup de coeur de l'année, totalement inattendu. Moi qui ne sors presque jamais de mes habitudes en matière de littérature, je compte bien dévorer au plus vite le reste de l'oeuvre d'Aki Shimazaki et découvrir davantage la littérature japonaise.

A découvrir absolument.

L'avis de Lou.

Babel. 1999-2004.

Source: Externe

11 avril 2018

Autoportrait de l'auteur en coureur de fond - Haruki Murakami

muraDepuis Hawaï où il passe l'été et prépare activement le Marathon de New York de 2005, Murakami nous parle de son rapport à la course à pied, prétexte qu'il prend aussi pour nous raconter sa vie.
Nous découvrons alors que cet écrivain japonais a commencé sa vie professionnelle en tenant un bar et que c'est un match de baseball qui lui a donné l'envie d'écrire, assez tardivement.

"Je n’ai jamais eu la moindre ambition d’être romancier. J’ai juste eu le désir ardent d’écrire un roman. Je n’avais pas d’image concrète de ce que je voulais écrire, simplement la certitude que, si je me mettais à écrire sur-le-champ, j’irais jusqu’au bout et que je parviendrais à quelque chose de réussi. Rentré chez moi, je me suis installé à ma table et j’ai constaté que je n’avais même pas de stylo à plume correct."

Contrairement à ce que j'imaginais, Murakami a beaucoup vécu à l'étranger, en Italie, à Boston (où il a enseigné dans les plus prestigieuses universités) et à Hawaï, son lieu favori pour la période estivale.

Ses premiers pas en course à pied conïncident avec le début de sa vie d'écrivain.

"je dirai que je suis le genre d'homme qui ne trouve pas pénible d'être seul. Je n'estime pas difficile ni ennuyeux de passer chaque jour, une heure ou deux à courir seul, sans parler à personne, pas plus que d'être installé seul à ma table quatre ou cinq heures durant."

Murakami fait un parallèle entre les qualités nécessaires à un athlète et celles qu'un écrivain doit travailler. Convaincu que très peu d'écrivains correspondent au mythe de l'auteur tellement talentueux qu'il n'a besoin de presque rien pour travailler, il considère la concentration et la persévérance comme ses deux meilleures alliées pour pratiquer ses deux passions. 
Toutefois, il utilise la course pour contrebalancer le côté malsain nécessaire et présent selon lui chez tout romancier. Cette activité lui permet de diriger les émotions négatives lorsqu'elles le surprennent et d'avoir une hygiène de vie irréprochable. J'avoue être sceptique et ne pas adhérer à l'image de l'artiste forcément décadent (même si cela se limite, comme chez Murakami, à la pratique de son art) et au stéréotype selon lequel ces personnes vivraient des choses qu'ils sont les seuls à expérimenter, mais soit. C'est son essai après tout.

C'est le troisième ouvrage que je lis de Murakami, et s'il ne m'a jamais totalement convaincue, ce n'est pas Autoportrait de l'auteur en coureur de fond qui me fera changer d'avis. Si on est un peu sportif, on ne peut que se reconnaître dans le portrait que l'auteur fait de lui (en ce qui me concerne, je lui laisse la palme du champion, ma mauvaise foi ne va pas jusque là...). Cependant, Murakami a du mal à sortir des observations qu'on peut lire dans à peu près n'importe quel article parlant de course à pied (peur de l'échec, addiction aux endorphines, hantise de la blessure, dépassement et connaissance de soi...) et son style est des plus basiques. Certaines phrases sont d'une banalité qui ne m'avait pas frappée lors de mes précédentes lectures de l'auteur.

J'attendais de ce livre une ode à la course à pied et une réflexion originale sur le métier d'écrivain et de traducteur (ce dernier aspect est seulement survolé). Il ne s'agit pas d'un texte désagréable, mais ce n'est clairement pas un indispensable. Je vous conseille de vous tourner vers d'autres titres de l'auteur, c'est ce que je vais faire.

Hélène est bien plus enthousiaste.

Une lecture effectuée dans le cadre du Mois au Japon de Lou et Hilde.

Thélème. 5h30.
Traduit par Hélène Morita.
Lu par Pierre Tissot.

Source: Externe

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