Précoce automne - Louis Bromfield
C'est le soir, et un bal est organisé par Anson et Olivia Pentland, en l'honneur de leur fille Sybil, qui revient de pension. Cette soirée marque aussi le retour de Sabine, une parente dont le franc-parler fait trembler la tante Cassie et Anson.
Cependant, Olivia se sent au contraire de son époux stimulée par ce retour. Après avoir vécu vingt ans à jouer les maîtresses de maison parfaites aux Pentlands, elle rêve de changer sa vie et d'offrir à sa fille la possibilité d'être heureuse.
Précoce automne est un de ces romans qui vous envoûte dès les premières pages. Un sentiment de délectation nous prend alors qu'on déambule aux Pentlands, et que l'on suit les personnages dans leurs réflexions alors qu'ils voient leur petit univers qu'ils voudraient immuable bouleversé. Les Pentlands, cette grande famille, qui mène la danse depuis très longtemps, n'accepte pas de voir son influence menacée par des nouveaux venus, à commencer par O'Hara, cet Irlandais, d'origine très populaire, qui a osé s'acheter des terres.
Les vieux dossiers ressortent également tous en même temps. A travers Sabine, une divorcée que l'on trouve trop peu soucieuse des intérêts de sa famille. Mais il y a aussi ce cousin enclin à provoquer des scandales, qui a la mauvaise idée de mourir, et surtout vouloir se faire enterrer dans sa terre d'origine, après avoir été exilé en France par les siens pendant des années. La vieille folle dans le grenier (ou plutôt de l'aile nord) décide aussi de contribuer à faire tomber la façade qui recouvre la famille. Enfin, Jack, l'héritier malade, agonise.
On parle aussi de mariage, de raison et d'amour. Louis Bromfield s'en prend très durement à l'éducation des jeunes filles, qui les prive de toute chance de connaître le bonheur conjugal. Olivia et Anson n'ont jamais fait que jouer à être amoureux, et encore, sans trop se forcer, ni sans essayer de faire durer l'illusion. Sabine y a perdu l'homme de sa vie. Je n'ose imaginer la vie conjugale de Tante Cassie. Quant à la belle-mère d'Olivia, elle ne s'est jamais remise de sa nuit de noces. Les hommes ne sont pas beaucoup mieux lôtis, entre John qui a élevé le sentiment de culpabilité au rang d'art de vivre et Anson qui se contente d'être apathique en toutes circonstances.
Tout semble sur le point d'exploser, Olivia paraît prête à échapper à ce précoce automne dont parle le titre, et pourtant. J'ai aimé que ces personnages prêts à tout remettre en cause se révèlent souvent bien moins novateurs qu'ils ne le laissent penser. Ca me fait souvent rager, mais je pense que c'est bien plus réaliste ainsi. On pense à Edith Wharton en lisant ce livre. Il y est d'ailleurs clairement fait allusion. Le monde décrit ici est le même que celui qu'on observe dans Chez les heureux du monde, plein de craquelures mais encore capable de résister et de détruire ceux qui tentent d'y échapper.
" - Ne vous fiez pas trop à Sabine, insinua t-il en se redressant tout à fait dans son fauteuil. Elle est des nôtres malgré tout. Elle ressemble beaucoup à ma soeur Cassie, beaucoup plus que vous ne pouvez l'imaginer. Voilà pourquoi elles se détestent tant. On pourrait dire que Sabine c'est tante Cassie retournée. Toutes deux ne reculeraient devant aucun sacrifice pour créer de maux ou des malheurs dont le spectacle les intéresserait. Elles vivent des émotions des autres."
Une belle découverte.
C'est Titine qui m'avait donné envie de lire ce livre. Romanza en parle aussi très bien.
Phébus. 287 pages.
Traduit par A. Baillon de Wally.
1926 pour l'édition originale.