La Faute de l'Abbé Mouret ; Emile Zola
Mon histoire avec Zola, c'est un peu celle d'Elizabeth Bennet et Fitzwilliam Darcy (attention, je vais délirer). De tous les auteurs que j'ai étudiés dans le secondaire, je crois que c'est le seul dont je gardais un souvenir désastreux. Il m'a valu la pire note de ma vie en cours de français (après une lecture très laborieuse), et mon orgueil blessé a alors décrété que tout était de la faute de Zola.
Finalement, les années passant, j'ai eu l'occasion d'entendre des avis très contradictoires sur l'auteur, suffisamment argumentés pour que j'accepte de tendre de nouveau l'oreille lorsque j'entendais son nom, et finalement je l'ai fait. J'ai lu Au Bonheur des Dames, et j'ai réalisé que Zola gagnait peut-être à être connu. Il restait à confirmer que je pouvais apprécier cet auteur pour autre chose que ses très rares concessions à l'amour heureux (je force le trait, l'écriture dans Au Bonheur des Dames est incroyable, et l'on n'est pas tout à fait dans un conte de fées...), alors j'ai ploufé entre les Rougon-Macquart présents dans ma bibliothèque.
La Faute de l'Abbé Mouret est le cinquième volume de la série. Il met en scène Serge Mouret (le frère d'Octaaaave !), abbé des Artaud, où vivent des campagnards descendant d'une même famille. Alors que la paroisse est en proie au vice, que les messes sont dites sans personne pour les écouter, et que les jeunes filles se marient systématiquement parce qu'elles sont enceintes, l'abbé Mouret est le plus intègre des hommes. Ses tourments sont si grands qu'il refuse toute idée de matérialité. Sa seule passion est pour la Vierge, une passion presque sensuelle. Le Frère Archangias, misogyne notoire, (et hypocrite fini) est d'ailleurs là pour prévenir tout écart du curé.
Pourtant, lorsque son oncle Pascal le mène au Paradou, cette demeure à l'écart, où vivent un philosophe athée et Albine, une enfant sauvage et naturelle, la vie de l'abbé Mouret bascule. Il oublie son passé, et renaît au sein de cet Eden aussi envoûtant que menaçant, amoureux fou d'Albine.
Ce livre est extraordinaire, tout simplement. J'avoue avoir connu des moments difficiles pendant la seconde partie qui contient des descriptions indigestes pour moi actuellement, le passage entre les deux premières parties m'a paru abrupte (malgré des explications par la suite), et pourtant je tiens là l'un de mes plus gros coups de coeur de l'année.
La Faute de l'Abbé Mouret est une réécriture de la chute, Serge et Albine étant de nouveaux Adam et Eve. Ils sont nus lorsqu'ils se rencontrent. La pureté de la jeune fille est celle des êtres que la société (et encore plus celle où le Père Archangias évolue) n'a pas atteints, il est amnésique et donc renaissant.
"Serge ne pouvait plus vivre sans le soleil. Il prenait des forces, il s'habituait aux bouffées du grand air qui faisaient s'envoler les rideaux de l'alcôve. Même le bleu, l'éternel bleu commençait à lui paraître fade."
Mais la santé nouvelle de jeune homme est fragile, le Paradou contient la même tentation que l'Eden original, et Serge redevient l'abbé Mouret.
Outre la fatalité (ou plutôt l'hérédité), Serge et Albine sont les victimes d'une France qui se transforme. Le Frère Archangias n'est prêt à faire aucune concession à la morale dont il se croit le garant, et son opposition avec le Philosophe, le gardien d'Albine (qui fait au passage preuve d'une irresponsabilité totale lorsqu'il laisse Albine s'occuper seule de Serge), est frontale. Moi qui savoure les discours anticléricaux, j'ai été servie. Si l'abbé Mouret est parvenu à m'émouvoir, c'est parce que ses tourments étaient ceux de Serge, l'homme. L'abbé est un acharné au début du livre.
"La mépris de la science lui venait ; il voulait rester ignorant, afin de garder l'humilité de sa foi."
Bien que la préface de mon édition insiste sur le fait que l'auteur ne prend pas clairement partie pour cette position, j'ai trouvé que l'Eglise était assez durement tournée en dérision, parfois avec humour, parfois de manière dramatique. L'assaut de l'église mené par les poules de Désirée au début du roman est délectable. Cette scène incongrue n'est d'ailleurs pas la seule du roman. La fin tragique est ainsi associée à une intervention aussi malvenue que pleine d'humour de la part de la sœur de l'Abbé.
J'ai également eu mes moments de rage. J'avais beau savoir que ça finirait mal, observer Serge et Albine se repousser a été éprouvant. Cela sans aucun doute grâce au style puissant de Zola, qui nous offre des passages d'une force incroyable. Ce livre contient ainsi l'une des morts les plus poétiques et les plus tristes que j'ai lues.
Vraiment un moment de lecture incroyable. Je peux encore moins que d'ordinaire prévoir mes lectures, mais je vais tenter de revenir au plus vite vers Zola.