La seconde femme de Pouchkine ; Iouri Droujnikov
Fayard ; 153 pages.
Traduit par Lucile Nivat. 2003.
En janvier, alors que je feuilletais Livres Hebdo, je suis tombée sur un livre au titre intéressant. Je venais juste de terminer La fille du capitaine, alors j'ai voulu lire ce roman. Quelques semaines plus tard, il est tombé dans mes mains chez Gibert, en occasion, alors je n'ai pas hésité.
Todd est américain, et vit dans une maison avec d'autres étudiants qui tentent, en vain, de le dévergonder un minimum. Il a trente ans, n'est pas d'un naturel chahuteur, mais il a connu pas mal de désillusions qui expliquent son comportement. Un jour, désespérés de le voir sans femme dans sa vie, ses colocataires décident de l'inscrire sur un site de rencontres.
Todd les laisse faire, et ils décident, afin de trier les candidates, de leur faire écrire un poème. Ils reçoivent notamment une réponse venant de Russie, d'une certaine Diane. Après quelques recherches, Todd découvre que ces vers ont en fait été écrits par Alexandre Pouchkine. Or, il se trouve que le jeune homme est en train d'écrire une thèse (complètement folle) visant à faire de l'écrivain russe le premier féministe.
Ce n'est pas tout. Diane est en fait Diana, une jeune russe qui travaille comme guide dans un musée consacré à Pouchkine. Elle aussi est une célibataire endurcie, et elle n'est pas à l'initiative du poème envoyé à Todd. C'est une de ses collègues, initiée à internet, qui s'en est chargée, pour passer le temps.
Diana n'est pas du genre à avoir des amis. Son seul amour est Pouchkine, et elle va parvenir à devenir sa seconde femme. Elle aura même un enfant de lui, du moins dans sa tête (parce que Todd s'est quand même un peu chargé de fournir les spermatozoïdes nécessaires à la conception).
Voilà un livre qui semble complètement loufoque (et qui l'est en grande partie), mais qui est également bien d'autres choses. On peut aussi penser, en lisant le résumé du livre, qu'il est plein de clichés. Todd et Diana semblent sculptés l'un pour l'autre, et on est très portés à croire que ça ne va pas louper, mais le propos de ce livre est tout autre.
Iouri Droujnikov évoque, à travers le personnage de Diana, le rapport au réel, l'amour d'un auteur. Elle semble complètement folle, cette jeune femme qui se fait faire un pantin de bois en guise de Pouchkine, qui dort avec lui, qui lui parle, qui l'épouse même. Elle pleure à la fin des visites guidées qu'elle mène, parce qu'elles s'achèvent avec la mort de l'auteur. Mais elle ne vaut pas forcément moins que ceux qui prétendent s'intéresser à son auteur fétiche quand il ne sont en fait passionnés que parce qu'ils ont à en dire.
De plus, elle semble avant tout chercher dans ses rêves une solution pour contrôler sa vie. Aimer un être de bois signifie qu'il ne pourra jamais lui faire que ce qu'elle a décidé. Son Pouchkine est un coureur, elle le sait, mais elle s'y est préparée. Pas très courageux et plutôt dangereux, quand on perd pied et qu'on ne sait plus ce qui relève de l'imagination ou non, mais pas incompréhensible non plus. Surtout que nous sommes dans la Russie communiste, et que la vie ne ressemble pas vraiment à un conte de fée. A noter que la façon de penser des Américains est aussi moquée, et la mise en parallèle des modes de vie des deux grands constitue l'un des aspects importants de ce livre. Droujnikov ayant vécu aux Etats-Unis et enseigné à Berkeley, il a eu le temps de murir ses appréciations du monde qu'il découvrait après avoir été un opposant au régime soviétique.
Todd aussi est un personnage auquel il est difficile de ne pas succomber. Il a lui aussi été, à sa manière, un pantin toute sa vie, et il le reste face à Diana.
A ces sujets très sérieux, et pour ne pas plomber complètement le moral du lecteur, Droujnikov emploie un ton très léger et crée les situations burlesques dont mon résumé vous donne de bons exemples.
Encore un livre que j'ai beaucoup aimé et que je vous recommande.