Ainsi rêvent les femmes ; Kressmann Taylor
Édition Autrement ; 59 pages.
8 euros.
"Alors même qu'elle lui enfonçait son visage dans les cheveux, elle voyait s'abattre sur elle l'ombre des années à venir comme des oiseaux aux ailes noires. Aussi clairement qu'un message écrit, cette vision lui révélait, au milieu de la joie, toute la cruauté future, la dureté, la longue privation, la souffrance. Elle accueillait ces mauvais présages, les serrait contre elle, contre ses seins, en même temps que le corps de l'homme."
Après Ainsi mentent les hommes, Kressmann Taylor nous offre avec pudeur, fraîcheur et sensibilité, le portrait de quatre femmes et un homme confrontés à la cruauté des rapports entre les êtres, à la rareté des preuves d'affection, qui n'ont pour réconfort que la pureté de leurs sentiments : Harriet, qui voit lui échapper l'homme qu'elle aime dans les flammes et la jalousie; Madame, qui ne survit qu'au milieu de ses souvenirs et caresse brièvement l'espoir de faire partager ses chimères à sa jeune voisine compatissante; Anna, une toute jeune adolescente, qui se heurte à l'incompréhension et à l'indifférence de la première rencontre amoureuse; Ellie pearle, à la croisée des chemins entre les montagnes de son enfance et la sophistication de la ville; et Ruppe Gittle, qui a peut-être bien découvert le sens de la vie... Un précieux recueil qui rassemble les toutes dernières nouvelles inédites de l'auteur d'Inconnu à cette adresse. Comme une ultime invitation, en forme d'adieu, à se laisser traverser par le rêve fugace de l'amour. "
On peut rêver de différentes manières. En dormant, comme Harriet, mais aussi en se faisant des illusions, comme Anna. Certains rêvent en se rappelant un passé enjolivé, d'autres songent à une vie meilleure, loin. Mais quelle que soit la façon dont on rêve, il faut bien se réveiller à un moment ou à un autre.
J'ai beaucoup aimé ce très court recueil. Les histoires d'Harriet et d'Anna particulièrement. La première parce que sa vie a un goût d'inachevé terrible, la seconde parce que tout le monde a connu ces amours à sens unique, qui naissent alors qu'on ne le souhaitait pas.
Kressmann Taylor nous montre que quelle que soit notre âge, notre époque, notre lieu de vie, nous recherchons l'affection des autres, et que le souvenir d'un amour perdu ou que l'on a refusé, est la source des plus grands remords. Tout ceci avec une écriture très belle. L'auteur sait très bien passer du langage soutenu au langage courant pour donner du poids à son histoire.
" Je me demande s'il lui arrive de voir jusqu'au ténébreux des abîmes qui se profilent derrière les apparences, de faire face à l'effroyable, à l'insupportable fin de tout. Elle ne comprend pas que la blancheur des pivoines fait peine à voir parce qu'elle doit finir un jour. Il y a dans le monde quelque chose qui ne va pas du tout. Regardez ce qui dure, les tombes, par exemple. Ce sont les belles choses qui disparaissent en premier ; les matinées comme celles-ci, les iris qui cachent à l'intérieur de leurs pétales des cavités mouchetées et duveteuses. " (page 17)
J'ai vraiment aimé ce recueil, que je ne peux que vous conseiller.
Les avis de Florinette et de Virginie/Naniela.